Préfaces du troisième type

Il y a quelques temps, je me suis inscrite à la newsletter de Cécile Duquenne. Je n’ai pas encore eu l’occasion de lire les œuvres de cette autrice (ça viendra), mais je sais déjà que j’apprécie son approche de la littérature. Je reçois donc tous les matins une de ses réflexions sur l’écriture et l’art de raconter les histoires, me positionne sur les sujets qu’elle évoque, apprend à lâcher prise quand je ne peux pas être partout. Tous les matins, faute d’écrire en cette période où mon stage et mon mémoire m’occupent beaucoup l’esprit, je pense écriture.

Or vendredi dernier, la lettre d’information portait sur l’art de la préface. J’ai alors formulé quelques éléments de réflexion, et je me suis dit qu’il serait intéressant de les partager ici. Pour préciser dès l’abord d’où je parle, j’ai rédigé une préface en tant que blogueuse et autrice : celle du quatrième Grimoire du faune, Sortilège. En tant qu’universitaire, j’en ai rédigé quelques autres puisque j’ai travaillé, pour mon mémoire de M1 et ma thèse, sur des éditions de texte.

Or, ce sont deux exercices que je suppose un peu différents. L’objectif est-il le même ?

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Photo par Art Lasovsky sur Unsplash

J’ai mentionné lors d’un article en septembre le cas de la préface écrite par l’auteur lui-même, servant à défendre une œuvre, en empêcher une mauvaise interprétation, ou à relire un texte vingt ans après et le reconsidérer à l’aune de son œuvre. J’avais cité la préface du Tartuffe de Molière, et j’ai mis en image d’ouverture le manuscrit de la préface de Huysmans, écrite vingt ans après A Rebours (oui, c’est le même exemple, mais on ne cite jamais assez Huysmans). Je ne m’attarderai pas sur ce type de préface car outre que j’ai l’impression qu’on a un peu perdu cet usage, je suis loin d’être à ce stade !

Du fait de mes études de lettres, j’ai surtout fréquenté la préface comme partie d’un appareil critique, celle qui s’attarde sur le contexte de création et l’analyse d’un œuvre. C’est le travail que je faisais en thèse, à partir des œuvres de Jean de Tinan que j’avais pu rassembler. Comme on partait d’un auteur peu connu, il fallait à la fois tisser des liens avec l’époque, rendre accessible une œuvre et un univers que le potentiel lecteur a rarement approché, tout en proposant une lecture et des éléments d’information nouveaux. Dans le cadre des livres de poche et des œuvres classiques, changer de préface, c’est mettre à jour la présentation d’un texte par rapport à ce qui en est connu et par rapport à la réception d’un auteur à un moment donné : on ne préface pas Balzac aujourd’hui comme on le préfaçait dans les année 50 ou 80. C’est néanmoins le genre de préface honni, parce qu’elle n’hésite pas à révéler certaines parties d’intrigue à des fins d’analyse.

Il est vrai que c’est sans doute le cas où lecteur et préfacier sont les plus éloignés l’un de l’autre. Le premier, s’il découvre un texte, doit sauter les décennies d’analyse à partir desquelles le chercheur travaille. Cela n’empêche pas que certaines préfaces lumineuses, et il y a certains livres que je garde presque pour elles. J’ajoute les cas où la préface est ce qui rend le livre compréhensible pour un public donné, dans le cas où on s’attaque à des littératures de cultures ou d’époques très différentes de la nôtre.

On a aussi des cas de préfaces mondaines, où il s’agit de s’appuyer sur la notoriété et de la reconnaissance d’une personne pour vendre le texte. J’ai été à ce titre très surprise par le choix de faire appel à Edouard Baer pour préfacer La Vie de Patachon : à mes yeux de littéraire, ce n’était pas son métier, mais la curiosité de l’association des noms, ou même la personnalité et les goûts de l’acteur ont peut-être pu attirer des curieux vers ce roman de Pierre de Régnier, consacré à une vie de Bohème dans les années 20.

Dans le cas d’une littérature plus récréative, la préface porte peut-être moins de poids sur ses épaules. Elle reste néanmoins une porte d’entrée vers une œuvre. Pour Cécile Duquenne, il s’agit de présenter le roman à venir, mais avec style. Une des techniques souvent utilisées est de brosser à grands traits les thèmes principaux du roman ainsi que ses réseaux symboliques (un travail que fait parfois la quatrième de couverture).

Pourtant, gare à ne pas trop mâcher le travail du lecteur ! (oui, c’est un peu ma marotte, ce truc.) J’ai le clair souvenir de livres qu’on m’ont déçue car la préface en avait fait de grandes fresques de la condition féminine, de la marginalité artistique ou des réactualisations du mythe du paradis perdu. Le thème était là, mais de l’avoir identifié trop tôt m’avait empêchée d’apprécier les spécificités du roman. C’est ce qui fait de la préface un exercice périlleux : il faut réussir signifier quelque chose sur l’œuvre à venir, sans trop en dire.

Je m’arrête un instant sur le cas particulier de la préface d’un recueil collectif. Notons que c’est le cas où il me semble plus difficile de se passer de ce petit texte fondateur : c’est le seul moment où l’ouvrage est considéré dans son ensemble. Ce que j’avais proposé pour Le Grimoire du faune relevait de cet exercice de synthèse où il s’agissait de distinguer les échos, les lignes de force mais aussi les oppositions etre les différentes œuvres – en un sens, de comprendre le travail au moins en surface le travail de l’anthologiste. Comme on passe souvent la préface, j’ai volontairement choisi une forme très courte, où j’ai essayé de piquer assez la curiosité pour donner envie de naviguer entre nouvelles et poèmes.

Je m’attarde sur cette typologie car il me semble que selon l’objectif poursuivi par la préface, le contenu ne sera pas tout à fait le même. Est-elle vue comme un support de communication ? Un argument de vente ? Une introduction à une œuvre ? Une orientation de lecture ? Une explication de certains choix ? Un peu de tout ça à la fois ? Le préfacier ou la préfacière doit-il-elle s’effacer derrière le texte, ou au contraire mettre sa patte, proposer une vision personnelle de l’œuvre ?

Je ne crois pas qu’il y ait une seule bonne réponse dans tout cela, mais je pense qu’en réfléchissant aux objectifs que l’on juge prioritaires pour un livre donné, on peut alléger un peu l’exercice. Une préface, comme une chronique de blog, peut revêtir bien des formes différentes, mais elle ne peut tout faire à la fois. Vous, en tant que lecteur, quel type de préface lisez-vous ? Et laquelle vous sentez-vous capable d’écrire ?

Lectrice, je garde un attrait pour celles qui contextualisent l’acte d’écriture : l’auteur était dans telle situation lorsqu’il avait écrit ça, et il avait déjà publié ça qui avait eu tel retour. En un mot, dans celles qui me donnent des faits qui vont ensuite nourrir ma propre interprétation. Et je vois la préface réussie comme un savant (mais bienveillant) exercice de manipulation : ou comment tirer le regard du lecteur vers le meilleur du livre, qu’il découvrira ainsi par lui-même.

Tout ce que je sais du monde et de la littérature je l’ai appris dans les préfaces des livres de poche. (Aurélien Bellanger)

Image de couverture : Détail du manuscrit de Joris-Karl Huysmans, Préface pour la seconde édition de À rebours sur Gallica

9 commentaires sur “Préfaces du troisième type

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  1. Je lis très rarement les préfaces des livres que je découvre, justement par peur qu’elles ne révèlent l’intrigue (ce qui arrive trop souvent). Il a dû m’arriver de lire les préfaces de romans que je relisais, mais j’avoue qu’aucune ne m’a laissé de souvenir indélébile…

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  2. Personnellement je lis les préfaces après le texte parce que trop souvent, elle révèle des éléments qui vont me gâcher la lecture. Ça m’est encore arrivé il y a quelques mois dans la réédition d’un texte gothique classique… Comme tu le soulignes, l’exercice n’est pas facile. Et je ne me souviens pas d’une préface vraiment marquante pour ma part. Je pense en fait que ça m’agace qu’on tente de m’imposer une vision, je préférerai que le préfacier donne simplement des informations que le lecteur peut s’approprier comme il le souhaite.

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  3. J’ai l’impression qu’il y a aussi une grande disparité sur les types de préface selon l’éditeur. J’ai par exemple beaucoup de Folio classique avec des préfaces à l’ancienne qui ne m’ont pas parlé plus que ça et dont je ne me souviens généralement pas ensuite. Merci de ton retour !

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  4. C’est sûr que sur certains titres, ça peut ôter quelque chose. Les spoilers me dérangent peu en général, mais comme dit dans l’article, si la préface souligne trop les grands thèmes ou interprétations, j’ai l’impression qu’on m’a ôté le plaisir de la découverte… De fait, je me demande si on ne serait pas friandes du même type de préface, très factuel : l’auteur, au moment de l’écriture, il faisait ça, c’était la galère dans sa vie, d’ailleurs dans une lettre à truc, il décrit son travail : etc. ? Merci beaucoup de ton commentaire en tout cas, ça apporte de l’eau au moulin d’avoir d’autres retours sur le sujet 😀

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  5. Voilà c’est exactement ça, je pense en effet qu’on recherche la même chose dans une préface 🙂 et avec plaisir je trouve ce type de sujet super intéressant j’adore suivre ton blog pour cette raison 😊

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  6. Je n’ai aucun souvenir d’avoir été marquée par une préface en particulier, mais en général je les lis, et avant le livre. Je n’aime pas qu’on me révèle trop d’éléments de l’intrigue, mais j’apprécie les efforts de contextualisation du texte. Et j’aime bien aussi qu’une préface attire mon attention sur les grands thèmes, juste pour orienter ma lecture sans entrer dans une analyse détaillée.

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